Des corpus d'auteurs pour les humanités à leur exploitation numérique
7-10 juin 2021 Bordeaux (France)
RIRE: une base de données pour explorer vers et humour
Anne-Sophie Bories  1@  
1 : University of Basel

Quoi de commun entre les vers et les blagues ? À première vue, on les placerait plutôt aux pôles opposés d'une hiérarchie conventionnelle des formes littéraires. Et pourtant, on les rencontre souvent ensemble. Les poètes même les plus sérieux ont composé des pièces humoristiques et parfois obscènes, mêlé à leurs œuvres sérieuses des jeux de mots et des facécies. Hugo en est un bon exemple, qui recourt régulièrement

Poésie et humour violent volontiers les maximes de Grice, selon lesquelles une communication doit viser la concision et fuir l'ambiguïté, ils s'appuient au contraire sur les insuffisances de la langue pour produire avec précision le degré d'ambiguïté voulu, nous offrant le plaisir de significations superposées et trompeuses. Les procédés de la versification et de l'humour partagent certains traits : le recours à la monotonie, la construction d'un horizon d'attente, qui permettent la production de discordances, de contrepoints, la suggestion d'énoncés latents, ou la mise en scène d'une chute.

 

Dans le cadre du projet Le Rire des vers (SNSF), nous explorons systématiquement différents aspects de ces deux procédés, et construisons pour cela une vaste et riche base de données.

La base RIRE rassemble des textes numérisés couvrant trois larges corpus, et trois catégories de données. Nous recueillons d'abord des données fines sur la versification, résultat du traitement automatique des textes par le programme d'analyse Malhebe développé au CRISCO par Richard Renault et Éliane Delente. Ces données nous placent dans la filiation de Benoît de Cornulier, dont les travaux sur la métrique ont fourni aux spécialistes de versification des outils systématiques et opérants. S'ajoutent à ces données sur la versification des données linguistiques, parties du discours et lemmes notamment. Nous effectuons en outre un relevé méticuleux de procédés stylistiques assimilables à des plaisanteries. Pour cette partie de notre effort, nous nous basons sur les travaux de Victor Raskin et Salvatore Attardo sur l'humour langagier. Leurs grilles d'analyses des blagues (jokes), fondées sur la description de double scénarii et sur l'examen de divers éléments d'ancrage, nous ont servi à établir un protocole de description efficace non seulement des procédés humoristiques, mais aussi de nombreux autres phénomènes stylistiques plus ou moins apparentés à la syllepse. Notre base RIRE permet ainsi l'exploration multimodale de trois grands corpus : l'un consacré à la poésie des 19e et 20e siècles, l'autre aux couplets de vaudeville de 1830 à 1835, le troisième à la chanson des 19e et 20e siècles.

Au moyen de cet outil audacieux, nous voulons explorer les liens qui se tissent sur le plan stylistique et thématique au sein des textes en vers, entre la forme même des vers et la construction du sens, ou plutôt la construction des sens, puisque nous nous intéressons tout particulièrement aux moments des textes qui superposent des sens parfois incompatibles, suggèrent des énoncés latents capables d'enrichir ou de déstabiliser l'énoncé principal, freinent la lecture par leur incongruité, suscitent parfois le rire, plus souvent le sourire, ou simplement le plaisir d'une lecture multipliée, d'une concentration de la langue, de l'inattendu. Ces efforts visent d'abord à éclairer l'évolution et le fonctionnement de deux phénomènes hautement ancrés : les formes métriques, qui portent avec elles, selon les époques, les lieux et les cercles, leur propre lot de sens historique et stylistique, et l'humour au sein des textes versifiés, qui soulève des questions d'ordre historique, culturel et sociologique, notamment parce que l'humour, pour être opérant, nécessite un juste degré d'investissement de la part du public. Ensuite, notre travail vise à proposer une exploration fonctionnelle des figures stylistiques qui reposent sur des mécanismes proches de l'humour, et qui peuvent être décrits avec la même série d'outils. Cette exploration systématique est à la fois multimodale, en ceci qu'elle combine divers outils d'analyse, et multifocale, en ceci qu'elle associe une lecture de loin à une lecture de près, combine différentes longueurs focales pour renouveler la lecture stylistique des textes.


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